L'insuffisance de crédits et l'arriéré de paiement des frais de justice et des frais de traducteurs et d'interprètes
Questions parlementaires orales jointes de :
- Jean-Luc Crucke à Paul Van Tigchelt (VPM Justice et Mer du Nord) sur "L'insuffisance de crédits dont sont victimes les traducteurs et experts de justice" (56000711C)
- Stefaan Van Hecke à Paul Van Tigchelt (VPM Justice et Mer du Nord) sur "L'arriéré de paiement des frais de justice et des frais de traducteurs et d'interprètes" (56000719C)
- Kristien Van Vaerenbergh à Paul Van Tigchelt (VPM Justice et Mer du Nord) sur "Le report du paiement de la rémunération des interprètes et traducteurs jurés" (56000734C)
(La Chambre des Représentants de Belgique, Commission de la Justice du 06-11-2024)
Vous pouvez visionner la vidéo ici.
05.01 Stefaan Van Hecke (Ecolo-Groen) : Monsieur le Ministre, vous avez déjà été interpellé dans cette commission le 23 octobre au sujet du manque de fonds pour les experts judiciaires, les interprètes et les traducteurs. Vous aviez alors déclaré qu'une réallocation de crédits au sein du budget du SPF Justice permettrait de trouver les crédits supplémentaires nécessaires pour compenser la pénurie de 2024. Ces réallocations ont été approuvées par le Conseil des ministres le vendredi 18 octobre 2024 et seront bientôt soumises au Parlement, avez-vous dit.
Cependant, les traducteurs et interprètes craignent que ces fonds supplémentaires ne soient disponibles que pendant les vacances de Noël, lorsque les services centraux du SPF Justice sont fermés, et que les paiements ne puissent reprendre qu'en janvier 2025. Cela serait très problématique pour les nombreux traducteurs et interprètes qui travaillent à temps plein ou principalement pour le ministère de la Justice et qui dépendent des paiements du ministère de la Justice pour leur revenu mensuel. Ne pas recevoir de revenus pendant 3 ou 4 mois, alors que les dépenses doivent être payées, va provoquer des drames personnels.
Combien de factures de traducteurs, d'interprètes et d'experts judiciaires n'ont pas pu être payées actuellement ? Quel est le montant en jeu ? Le 23 octobre, vous avez parlé de 1,5 million d'euros. Quand les budgets supplémentaires promis par des changements internes seront-ils effectivement disponibles et pourront-ils être utilisés pour payer les factures impayées ? Pouvez-vous garantir que toutes les factures 2024 en suspens pourront être payées dans un bref délai ? Quand les états de frais contestés et les factures de septembre 2024 et antérieures seront-ils payés au plus tard ? Quand les états de frais et les factures non contestés d'octobre et de novembre 2024 seront-ils payés au plus tard ?
05.02 Kristien Van Vaerenbergh (N-VA) : Monsieur le Ministre, la question n'est en effet pas étrangère à la Justice. On pose régulièrement des questions sur les arriérés, ici dans le cas des traducteurs-interprètes, mais c'est souvent beaucoup plus large. Surtout en fin d'année, la Justice est parfois confrontée à des problèmes budgétaires, y compris cette année apparemment. Nous avons lu dans les journaux les différents témoignages de traducteurs-interprètes qui n'ont pas reçu leur salaire pour les deux derniers mois de l'année 2024. C'est évidemment une situation inacceptable pour ce groupe professionnel essentiel dans la chaîne judiciaire. 20 millions d'euros seraient nécessaires à court terme pour rémunérer correctement les traducteurs-interprètes.
Avez-vous déjà consulté les traducteurs-interprètes pour vous faire une idée précise de leur situation et des problèmes qu'ils rencontrent ? Dans l'affirmative, quels enseignements en avez-vous tirés ? Dans le cas contraire, avez-vous l'intention de le faire ?
Quelles mesures concrètes avez-vous prises en tant que ministre, en collaboration avec le SPF Justice, pour résoudre ce problème urgent dans les plus brefs délais ? Des réallocations budgétaires ou d'autres mesures sont-elles déjà prévues ? Quand les traducteurs-interprètes peuvent-ils espérer une solution ? Peuvent-ils s'attendre à ce que leurs salaires de novembre et décembre soient payés dans les délais habituels ? Si ce n'est pas le cas, quel est le délai prévu ?
Comment ferez-vous en sorte que ce problème soit évité à l'avenir, puisqu'il se répète ? S'agit-il d'une erreur de budgétisation ou d'un manque structurel de moyens financiers ?
05.03 Jean-Luc Crucke (Les Engagés) : Monsieur le ministre, ma question est identique. Je vous avais déjà questionné le 23 septembre sur ce qui, à mon avis, était une insatisfaction manifeste et compréhensible - pour ne pas dire justifiée - du monde des experts judiciaires et des interprètes.
Vous m'aviez alors parlé d'une réallocation qui devait être approuvée par le Conseil des ministres. Mais vous m'aviez par ailleurs dit que le déficit était d'un million et demi. Aujourd'hui, je lis dans le presse qu'il serait question de 20 millions. D'où vient cette différence de chiffres ?
La presse a également fait part d'un certain nombre de réactions de personnes concernées. Derrière la Justice, il y a encore des hommes et de femmes. Ce ne sont pas que des robots et heureusement ! Ces hommes et ces femmes sont dans des détresses personnelles parce que la fin du mois arrive mais la fin de l'année aussi. Certains se disent qu'ils devront déposer leur bilan en cas de faillite et ils pensent à se retourner vers le CPAS. Avouez que c'est le monde à l'envers !
Dans le même temps, l'on découvre que le SPF Justice et son directeur général ont adressé, le 4 septembre 2024, un courrier pour resserrer les conditions de paiement. On comprend qu'il peut y avoir des exagérations mais l'ensemble fait qu'on met finalement le monde des interprètes aux abois.
En dehors de la clarification des chiffres que j'attends, pourriez-vous confirmer que ces réallocations sont intervenues mais qu'elles ne postposeront pas le paiement d'autres factures dans d'autres domaines de la Justice ?
Comment faire face à la détresse de ces personnes pour lesquelles cela devient existentiel ? La perte d'un boulot c'est la fin du travail, la faillite et c'est le serpent qui se mange la queue : des interprètes en moins au service de la Justice et un retard qui sera de toute façon préjudiciable pour tout le monde !
05.04 Paul Van Tigchelt, ministre : Merci, chers collègues, pour vos questions. Notre collègue Van Vaerenbergh vient de le dire. Il est bien connu que la Justice est confrontée presque chaque année à des déficits en matière de frais de justice. Mes prédécesseurs ont également été confrontés à ce problème, je l'ai vérifié dans la presse.
Les frais de justice font l'objet d'une estimation budgétaire. Il ne s'agit donc que d'une estimation mais dans les cas individuels, les magistrats décident de manière tout à fait indépendante et autonome de la nécessité de désigner des experts, des interprètes et de ce fait d'engager des frais de justice.
Je me réfère un instant au modèle néerlandais qui fonctionne avec des quotas pour les magistrats et pour ces frais. Cette tradition n'existe pas dans notre pays parce que nous la considérerions comme un mépris – ce mot est peut-être exagéré – ou une atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Comme je l'ai déjà mentionné en réponse à une question de M. De Smet il y a quelques semaines, nous nous trouvons dans ce débat sur la délicate ligne de tension entre l'indépendance du pouvoir judiciaire d'une part et les responsabilités et contraintes budgétaires de l'exécutif d'autre part. Une solution structurelle au problème pourrait consister à rendre le pouvoir judiciaire lui-même responsable de la gestion des frais de justice. Cela pourrait garantir que la magistrature elle-même soit obligée de réfléchir à la nécessité de certains coûts.
J'ai déjà répondu à certaines de vos questions spécifiques du 23 octobre, auxquelles vous faites également allusion. Les frais de justice ont fortement augmenté ces dernières années, en partie à cause de l'indexation des frais. Pour 2023, il y a eu une indexation de 11,11 % en raison de la crise énergétique de 2022. Bien entendu, il est difficile de prévoir cette évolution. Pour la période 2020-2024, l'indexation totale est de 18,82 %, un pourcentage qui m'effraie également.
Les augmentations les plus importantes concernent les traducteurs-interprètes, les tests toxicologiques, ADN, examens mentaux et la médecine légale.
En outre, l'augmentation des frais de justice est également due aux résultats obtenus par la police et la justice dans la lutte contre la criminalité organisée. Les grandes affaires judiciaires, comme celle qui vient de se terminer, entraînent également des frais de justice supplémentaires.
Le déficit est donc estimé à plus de 20 millions d'euros. Il ne s'agit évidemment pas seulement du coût des traducteurs et des interprètes. Le déficit pour le paiement des factures des traducteurs-interprètes est actuellement estimé à 2 millions d'euros. Aujourd'hui, quelque 3 039 factures ont déjà été reçues par les bureaux de taxation.
Des réallocations ont été effectuées pour compenser ces déficits. Grâce à des réallocations internes, des fonds supplémentaires seront déjà disponibles mi-novembre.
Il ne s'agit donc pas de la semaine prochaine, mais de la semaine suivante.
Les principales réallocations sont incluses dans le projet de loi contenant le deuxième ajustement du budget général des dépenses pour l'année budgétaire 2024 qui sera examinée par la commission du Budget le 12 novembre.
Si ce projet est voté à la fin du mois, les fonds supplémentaires seront disponibles mi-décembre. Mon administration mettra alors tout en œuvre pour payer un maximum de factures incontestées des traducteurs-interprètes avant la fin de l'année.
Vous avez raison de dire que c'est important. Ces personnes ont rendu des services et doivent donc être payées pour cela. Les réallocations internes sont reprises dans un projet de loi. Si ce projet de loi est adopté, nous pourrons rattraper ces arriérés le plus rapidement possible grâce aux réallocations internes.
Madame Van Vaerenbergh, vous me demandez si j'en ai discuté avec les traducteurs-interprètes. Cette semaine encore, une concertation entre mon cabinet, mon administration et les associations professionnelles d'interprètes est prévue. Au cours de cette consultation, nous communiquerons une indication aussi précise que possible du timing.
Je suis désolé de le répéter, mais pour ce genre de problème, nous avons besoin d'un gouvernement doté des pleins pouvoirs. Un ministre de la Justice qui s'adresse au gouvernement, comme cela s'est produit dans le passé, pour obtenir un budget supplémentaire afin de résoudre un problème, ne peut se produire que dans un gouvernement doté des pleins pouvoirs qui peut décider de nouveaux budgets. Je ne me dérobe pas à mes responsabilités. J'essaie de mettre de l'ordre dans tout cela, mais dans les affaires courantes, nous ne pouvons qu'utiliser la technique des réallocations internes, que nous pratiquons au maximum.
Encore une fois, ces experts et certainement les traducteurs et interprètes jurés sont essentiels au bon fonctionnement de notre État de droit.
05.05 Stefaan Van Hecke (Ecolo-Groen) : Monsieur le Ministre, je vous remercie pour votre réponse.
Vous dites que cela se produit presque chaque année, mais lorsque j'ai commencé en 2007, nous avons eu toute une période où il y avait beaucoup d'arriérés. Ensuite, des changements législatifs sont intervenus pour que les choses se fassent à un autre niveau. J'ai l'impression que les choses se sont calmées pendant un certain temps, mais nous avons maintenant à nouveau un problème.
Votre réponse ne me rassure pas entièrement. Je comprends que les choses doivent encore être réglées sur le plan législatif, mais je me demande si les gens seront payés lorsque ces fonds seront disponibles à la mi-décembre. J'entends également dire sur le terrain qu'il y a des problèmes de personnel pour traiter toutes ces déclarations de coûts et ces factures.
Même lorsque les budgets sont là, ils sont retardés. Alors qu'auparavant, 90 % des factures étaient payées dans les 30 jours, ces derniers temps, avec des budgets suffisants, ce chiffre est tombé à 70 %. Quelle est donc la garantie que les paiements seront effectués à temps, même si les budgets supplémentaires sont là ? Les gens sur le terrain sont vraiment inquiets.
Comme vous l'avez dit, la Justice a besoin de ces experts, interprètes et traducteurs. Sans eux, de nombreuses affaires judiciaires, en particulier les affaires pénales, ne peuvent pas avancer. Ces personnes doivent être « soignées », car pourquoi choisiraient-elles encore de travailler pour la Justice si les mêmes problèmes se répètent chaque année et qu'elles ne sont pas payées à temps ? Nous courons le risque que les bons traducteurs, les bons interprètes, les bons experts ne travaillent plus ou beaucoup moins pour la Justice. Nous nous tirons ainsi une balle dans le pied.
Monsieur le Ministre, je comprends que ce n'est pas facile dans les affaires courantes, mais ce dossier mérite toute la priorité, même dans les affaires courantes. Dans ce Parlement, nous vous soutiendrons pour trouver une solution.
05.06 Kristien Van Vaerenbergh (N-VA) : Comme mon collègue, toutes mes inquiétudes n'ont pas été dissipées, Monsieur le Ministre. C'est une bonne chose que vous consultiez les traducteurs-interprètes. Comme le collègue l'a également souligné, il y a le problème budgétaire, mais le problème de ces paiements est plus large. De plus, il s'agit d'un problème récurrent.
J'espère vraiment que ces personnes pourront être payées à la mi-décembre, car elles constituent un maillon important du processus. Il est important qu'elles soient payées correctement et à temps. Si ce n'est pas le cas, elles ne voudront plus travailler pour la Justice. Il est déjà très difficile aujourd'hui de trouver des personnes qui veulent travailler pour la Justice. Cette situation doit être résolue afin que ces personnes puissent à nouveau travailler pour la Justice en toute confiance.
05.07 Jean-Luc Crucke (Les Engagés) : Je me rallie aux répliques de mes collègues. Tout travail mérite salaire. Je ne dis pas que vous n'avez rien fait. Je sais que vous êtes préoccupé par ce problème, mais je vous demande de déployer vraiment tous vos efforts pour trouver les solutions nécessaires à un paiement rapide. Ne dit-on pas que prévenir vaut mieux que guérir ? Je n'ai pas à vous dire ce qu'il y a lieu de faire, mais je me permets juste de vous suggérer, peut-être, de mener une collaboration avec d'autres collègues ministres, cela pourrait être utile. En effet, je crains que tout le monde ne sera pas payé en temps et en heure. C'est déjà le cas, mais quand je dis en temps et en heure, c'est avant la fin de l'année. Ne faut-il pas, à l'aide d'une collaboration, disposer de reports de paiement à l'IPP pour un certain délai ? Sans qu'il y ait évidemment des amendes ou des intérêts supplémentaires, il pourrait aussi y avoir des reports de paiement de la TVA pour trois ou quatre mois. Cela pourrait éviter que certains sombrent ou doivent déposer le bilan. Il faudrait des reports des cotisations sociales également, une fois de plus sans majorations. N'y a-t-il pas là une piste pour éviter que ceux qui sont au service de la Justice ne deviennent demain absents de la Justice parce qu'ils n'auront plus la possibilité de travailler ?