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Les prestations d’interprètes lorsque le transport de détenus vers les tribunaux n’est pas assuré.

Question parlementaire orale de Sophie De Wit à Vincent Van Quickenborne (VPM Justice et Mer du Nord) sur « Les prestations d’interprètes lorsque le transport de détenus vers les tribunaux n’est pas assuré » (55031804C)
(La Chambre des Représentants de Belgique, Commission de la Justice du 07-12-2022)

 

03.01 Sophie De Wit (N-VA) : On vit tout dans la justice belge. Lorsqu’on regarde certaines histoires des interprètes, c’est la même chose.

L’histoire en question est celle d’une interprète néerlandais-papiamento – assez exceptionnelle – qui a été appelée à traduire un verdict. Pour ce faire, elle a parcouru 185 kilomètres en direction de Bruxelles, puis a appris du juge, visiblement embarrassé, que les prévenus n’avaient pas été transférés de prison et ne le seraient pas, malgré plusieurs appels téléphoniques.

Les frais d’essence de l’interprète seraient remboursés et elle recevrait également 37 euros pour avoir attendu une heure, mais c’est tout. Les heures pendant lesquelles elle ne pouvait pas effectuer une autre mission, bien sûr, elle les a perdues. Ce n’est peut-être qu’une anecdote, mais elle est symptomatique de la défaillance de la Justice à cet égard. L’interprète concernée a ajouté qu’elle devait souvent venir de loin et qu’elle était en fait très peu payée. Elle doit également envoyer de nombreux courriers électroniques pour demander à être payée pour ses services, ce qui n’arrive souvent qu’un an plus tard. Sa décision est claire : elle cessera d’interpréter pour l’État belge.

Ce n’est pas une histoire isolée, monsieur le ministre. L’Union Professionnelle des traducteurs et interprètes jurés soulève également cette problématique et décrit même le système actuel de paiement comme « intenable » et, en raison des problèmes que connaissent les prisons aujourd’hui, de moins en moins de détenus sont transférés. Les interprètes bloquent donc inutilement une demi-journée pour cela et sont très peu payés.

Vous dites que vous avez déjà augmenté les budgets et que la Justice paiera plus vite, mais le taux horaire des interprètes est en fait très bas. Par conséquent, les interprètes ne peuvent pas effectuer leur mission, ce qui entraîne des reports et augmente l’arriéré judiciaire. En fait, nous ne gérons pas efficacement les personnes et les fonds publics ici, d’où mes questions.

Pensez-vous que la rémunération accordée aux interprètes aujourd’hui soit correcte ?

Allez-vous faire droit à la demande de l’Union Professionnelle des traducteurs et interprètes jurés de dédommager plus équitablement les interprètes qui ne peuvent pas travailler en raison d’une défaillance de la Justice – lorsqu’aucun détenu n’est transféré – en leur accordant 3 heures d’attente au lieu d’une heure d’attente ?

Est-il vrai que les transferts depuis les prisons aient été beaucoup plus difficiles que d’habitude au cours des dernières semaines ?

Combien de transferts de prisons étaient prévus au mois d’octobre et combien d’entre eux n’ont pas été effectués ?

 

03.02 Ministre Vincent Van Quickenborne : Comme c’est souvent le cas, la réalité est beaucoup plus nuancée. Tout d’abord, je tiens à souligner qu’environ un million de jugements et d’arrêts sont prononcés chaque année dans notre pays. Il est donc plutôt inapproprié de prétendre, sur la base de cette seule histoire, que la justice belge est défaillante. De telles déclarations populistes ne contribuent pas à la confiance des citoyens dans la justice.

Les rémunérations des interprètes sont fixées par arrêté royal et sont indexées automatiquement chaque année. Outre le temps de prestation, le temps d’attente et l’indemnité kilométrique sont également accordés. Cette indemnité kilométrique est également supérieure au simple remboursement des frais de carburant, comme vous le suggérez. Outre l’indemnité d’attente de 37,38 euros, l’interprète a reçu une indemnité pour 2 fois 185 kilomètres, soit 370 kilomètres au total. Ce nombre de kilomètres est multiplié par un taux de 0,5824 euros. En plus de l’indemnité d’attente, elle avait donc droit à une indemnité kilométrique d’un montant total de 215,48 euros.

D’après l’article de presse, il semble que l’interprète ait été convoquée pour un jugement. Il s’agit souvent de prestations courtes, qui durent moins d’une heure. La première heure de prestation est toujours garantie, même si la prestation effective n’a duré que 10, 15 ou 20 minutes. Si elle avait effectivement interprété, elle se serait fait payer un honoraire d’une heure de prestation, soit 52,77 euros. Donc, dans cette histoire, l’interprète en question rate une indemnité de 14,97 euros, je répète 14,97 euros.

De plus, il est inhabituel que la Justice demande à un interprète de se déplacer aussi loin. Dans la grande majorité des cas, il est possible de convoquer un interprète approprié à proximité du tribunal. Les magistrats et, depuis mars 2022, les citoyens peuvent, grâce à nos initiatives, utiliser une base de données exhaustive dans laquelle ils peuvent effectuer une recherche ciblée d’un interprète professionnel approprié. Aujourd’hui, cette base de données contient plus de 2 500 traducteurs, interprètes et traducteurs-interprètes jurés. Jusqu’à avant mars 2022, les personnes devaient se rendre physiquement au tribunal pour consulter un registre sur papier des interprètes disponibles. Ce n’est plus le cas, car nous avons numérisé tout cela. Ce problème a donc été résolu.

Pour moi, ce cas très concret, avec une langue très rare, démontre une fois de plus la nécessité de pouvoir travailler en vidéoconférence dans les affaires pénales. Nous travaillons activement à l’élaboration d’un projet de loi en la matière.

Permettez-moi également d’apporter quelques nuances concernant les différences entre les Pays-Bas et notre pays. Dans l’article en question, dont vous avez cité, l’interprète fait croire que la situation en Belgique est bien pire qu’aux Pays-Bas. Ce n’est pas vrai.

Les tarifs en Belgique sont automatiquement indexés chaque année en janvier. Aux Pays-Bas, cet automatisme n’existe pas. À partir du 1er janvier 2023, le gouvernement néerlandais portera la rémunération des interprètes judiciaires à 55 euros. En raison de notre indexation automatique, le tarif horaire belge sera supérieur à 55 euros. La rémunération est donc assez similaire et, en Belgique, elle est en outre garantie par l’indexation automatique annuelle.

Les retards de paiement allégués doivent également être qualifiés. Récemment, 74 % des états de frais introduits aux bureaux de taxation ont été payés dans les 30 jours. Au début de l’année, ce chiffre était de 55 %. Il y a quelques années, Mme De Wit, ce pourcentage était inférieur à 50 %.

Les interprètes étrangers sont payés par le bureau central des frais de justice. Dire que le paiement prendrait souvent jusqu’à un an ne correspond pas à la réalité. À cet égard, le SPF Justice a investi massivement dans la numérisation. Jusqu’à récemment, les experts devaient soumettre tous les documents par e-mail. Il s’agit de plus de 200 000 documents par an, pour environ 8 000 prestataires de services, interprètes et autres experts.

Cela a changé en mai 2022, avec la nouvelle application Justinvoice. Grâce au site web JustOnWeb, les experts peuvent télécharger leur dossier et leurs pièces, ils reçoivent un accusé de réception et le système les informe en cas de documents manquants. En outre, ils peuvent suivre l’état de leur dossier par voie numérique. Le système fonctionne actuellement sur une base volontaire, mais, à terme, il deviendra obligatoire pour tous les prestataires de services, ce qui permettra de raccourcir encore les délais de paiement.

La solution proposée par l’une des associations professionnelles consistant en un paiement standard de 3 heures de prestations, quelle que soit la durée effective de la mission, est actuellement irréalisable dans le contexte budgétaire actuel de notre pays.

J’en viens ensuite à votre troisième question. Il n’y a pas de problème structurel au niveau des transferts de détenus vers les tribunaux, même si des grèves ont eu lieu ces dernières semaines. La loi du 23 mars 2019 sur le système pénitentiaire prévoit des services minimums afin que, même pendant les grèves, les droits des détenus soient garantis, et dispose des activités qui doivent être garanties même pendant les grèves, notamment les droits de la défense, y compris la possibilité de recevoir des visites de l’avocat. Les directeurs de prisons mettent tout en œuvre pour que les transferts vers les Palais de Justice puissent avoir lieu, mais en cas de pénurie importante du personnel les jours de grève, la sécurité optimale de ces transferts ne peut pas toujours être garantie.

La DAB a dû effectuer 6 335 transferts en octobre, dont 699 n’ont pas eu lieu. Sur ces 699 non‑transferts, 652 non-transferts concernaient des refus. Un détenu peut, pour ainsi dire, encore changer d’avis jusqu’à une minute avant son transfert et refuser d’être transféré. Si un interprète a alors déjà été convoqué pour cette personne, c’est bien sûr très frustrant pour l’interprète en question. C’est malheureusement ainsi que les choses se passent aujourd’hui. Le détenu a également le droit de refuser le transfert jusqu’à la dernière minute.

 

03.03 Sophie De Wit (N-VA) : Tout d’abord, en matière de populisme, je n’ai certainement aucune leçon à recevoir de vous.

Deuxièmement, ces dernières semaines, à Bruxelles, les détenus ne sont bien souvent plus transférés ou, par facilité, il est demandé à l’avocat de représenter son client.

Il arrive très souvent que les détenus ne soient pas transférés ou que l’on demande à l’avocat de se contenter de représenter son client. Vous pouvez dire que la Justice n’est pas défaillante. Je ne veux pas contribuer à une mauvaise réputation de la Justice, mais les faits sont ce qu’ils sont et c’est ce que les gens attendent effectivement.

Vous soulevez le fait qu’il y a suffisamment d’interprètes sur un registre qui ne doivent pas venir de trop loin. Je cite Mme Bonnier, la juge de la presse de Courtrai, donc cela ne vient pas d’une association professionnelle, sur la recherche d’interprètes : « C’est un problème qui existe depuis des années. Cette audience est un exemple de douleur ancienne. Les interprètes ne sont pas très nombreux dans ce pays et certainement pas pour des langues comme le farsi ou le pendjabi. L’époque où il suffisait de connaître le néerlandais et le français est révolue. Nous constatons que notre public se mondialise avec la société. Tous les tribunaux pêchent dans le même petit étang pour les traductions. Par conséquent, les interprètes doivent venir de tout le pays et le trafic ne s’améliore pas. Un deuxième problème est que les interprètes du français ou de l’allemand peuvent gagner beaucoup plus d’argent dans le secteur privé. »

Vous dites simplement qu’il y a plus qu’assez d’interprètes venant des environs, et qu’il y a une base de données. Mais il est tout simplement très difficile pour les tribunaux d’aujourd’hui de trouver un interprète à chaque fois. Les tribunaux font des efforts, mais ils sont confrontés à une pénurie. En effet, de très nombreux interprètes enregistrés ne veulent plus travailler pour la Justice, simplement parce qu’ils peuvent gagner plus à d’autres moments pour un autre client. Vous rejetez l’idée d’une rémunération pour 3 heures. Si un interprète vient au tribunal toute la matinée aujourd’hui, mais que l’affaire n’est pas traitée, il reçoit 37,38 euros brut pour son temps d’attente. Je ne suis pas du tout d’accord sur l’idée que cette rémunération soit très correcte.

L’incident est clos.

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